poésies géométrie

   Les amours de la règle et du compas         

...

Le Compas glorieux se réveille en sursaut,

Ému de cette vue et d'un espoir si haut.

Il rend grâce au Soleil, et ferme comme un Aigle

Le regarde et s'en va : Puis rencontre la Règle ;

Droite, d'un grave port, pleine de majesté,

Inflexible et surtout observant l'équité

Il la suit, elle fuit d'une égale vitesse

Il double en son ardeur ses efforts vainement

Tous les coeurs s'opposaient à son contentement

Il pense la tenir, sans la voir il la touche

De ses rayons aigus il joint cette farouche

...

Quoi ? dit-elle en riant, je serais la conquête

D'un amant qui n'aurait que les pieds et la tête ?

Toutefois nos amours, répliqua le Compas,

Produiront des enfants qui vaincront le trépas.

De nous deux sortira la belle Architecture,

Et mille nobles arts pour polir la nature,

Ne pense pas, dit-elle, ébranler mon repos,

Ou pour autoriser tes étranges propos

Tâche à plaire à mes yeux par quelques gentillesses ;

Et montre des effets pareils à tes promesses.

Le Compas aussitôt sur un pied se dressa,

Et de l'autre, en tournant un grand cercle traça

La règle en fut ravie, et soudain se vint mettre

Dans le milieu du cercle, et fit le diamètre.

Son amant l'embrassa, l'ayant à sa merci,

Tantôt s'élargissant et tantôt raccourci,

Et l'on vit naître alors de leurs doctes postures

Triangles et carrés, et mille autres figures.

Charles Perrault