À vrai dire, c’étaient de drôles de mariages. Plutôt des amitiés. Comme dans les écoles d’autrefois, quand elles n’étaient pas mixtes. Au royaume des mots, les garçons restent avec les garçons et les filles avec les filles. (x) L’article entrait par une porte, l’adjectif par une autre. Le nom arrivait le dernier. Ils disparaissaient tous les trois. Le toit de la mairie me les cachait. J’aurais tout donné pour assister à la cérémonie. J’imagine que le maire devait leur rappeler leurs droits et leurs devoirs, qu’ils étaient désormais unis pour le meilleur et pour le pire.Ils ressortaient ensemble se tenant par la main, accordés, tout masculin ou tout féminin:le château enchanté, la maison hantée...Peut-être qu’à l’intérieur le maire avait installé un distributeur automatique, les adjectifs s’y ravitaillaient en « e » final pour se marier avec un nom féminin. Rien de plus docile et souple que le sexe d’un adjectif. Il change à volonté, il s’adapte au client.(x) (X)Certains, bien sûr, dans cette tribu des adjectifs, étaient moins disciplinés. Pas question de se modifier. Dès leur naissance, ils avaient tout prévu en se terminant par «e». Ceux-là se rendaient à la cérémonie les mains dans les poches. «Magique», par exemple. Ce petit mot malin avait préparé son coup. Je l’ai vu entrer deux fois à la mairie, la première avec «ardoise», la seconde avec « musicien». Une ardoise magique (tout féminin). Un musicien magique (tout masculin). « Magique » est ressorti fièrement.Accordé dans les règles mais sans rien changer. Il s’est tourné vers le sommet de ma colline. J’ai l’impression qu’il m’a fait un clin d’œil: tu vois, Jeanne, je n’ai pas cédé, on peut être adjectif et conserver son identité.(X) Charmants adjectifs, indispensables adjoints!Comme ils seraient mornes, les noms, sans les cadeaux que leur font les adjectifs, le piment qu’ils apportent, la couleur, les détails...Et pourtant, comme ils sont maltraités!Je vais vous dire un secret : les adjectifs ont l’âme sentimentale. Ils croient que leur mariage... |