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DES TEXTES ET DES HISTOIRES (T-05/1)
Contes traditionnels
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Le petit chaperon rouge
Il était une
fois une petite fille de village, la plus jolie qu'on eût su voir ; sa mère en
était folle, et sa mère-grand plus folle encore. Cette bonne femme lui fit
faire un petit chaperon rouge, qui lui seyait si bien, que partout on
l'appelait le petit chaperon rouge.
Un jour sa
mère ayant cuit et fait des galettes, lui dit :
- Va voir comme se porte ta
mère-grand, car on m'a dit qu'elle était malade, porte-lui une galette et ce
petit pot de beurre.
Le petit
chaperon rouge partit aussitôt pour aller chez sa mère-grand, qui demeurait
dans un autre village.
En passant dans un bois
elle rencontra compère le loup, qui eut bien envie de la manger ; mais il
n'osa, à cause de quelques bûcherons qui étaient dans la forêt. Il lui demanda
où elle allait ; la pauvre enfant, qui ne savait pas qu'il est dangereux de
s'arrêter à écouter un loup, lui dit :
- Je vais voir ma mère-grand, et
lui porter une galette avec un petit pot de beurre que ma mère lui envoie.
- Demeure-t-elle bien loin ? lui
dit le loup.
- Oh ! Oui, dit le petit chaperon
rouge, c'est par-delà le moulin que vous voyez tout là-bas, là-bas, à la
première maison du village.
- Eh bien, dit le loup, je veux
l'aller voir aussi ; je m'y en vais par ce chemin ici, et toi par ce chemin-là,
et nous verrons qui plus tôt y sera.
Le loup se mit
à courir de toute sa force par le chemin qui était le plus court, et la petite
fille s'en alla par le chemin le plus long, s'amusant à cueillir des noisettes,
à courir après des papillons, et à faire des bouquets des petites fleurs
qu'elle rencontrait.
Le loup ne fut
pas longtemps à arriver à la maison de la mère-grand ; il heurte : toc, toc.
- Qui est là ?
- C'est votre petite-fille le
petit chaperon rouge (dit le loup, en contrefaisant sa voix) qui vous apporte
une galette et un petit pot de beurre que ma mère vous envoie.
La bonne mère grand, qui était
dans son lit à cause qu'elle se trouvait un peu mal, lui cria :
- Tire la chevillette, la
bobinette cherra.
Le loup tira
la chevillette et la porte s'ouvrit. Il se jeta sur la bonne femme, et la
dévora en moins de rien ; car il y avait plus de trois jours qu'il n'avait
mangé. Ensuite il ferma la porte, et s'alla coucher dans le lit de la mère
grand, en attendant le petit chaperon rouge, qui quelque temps après vint
heurter à la porte. Toc, toc.
…
…
- Qui est là ? Le petit chaperon
rouge, qui entendit la grosse voix du loup eut peur d'abord, mais croyant que
sa mère-grand était enrhumée, répondit :
- C'est votre petite-fille le
petit chaperon rouge, qui vous apporte une galette et un petit pot de beurre
que ma mère vous envoie.
Le loup lui cria en adoucissant
un peu sa voix :
- Tire la chevillette, la
bobinette cherra.
Le petit chaperon rouge tira la
chevillette, et la porte s'ouvrit.
Le loup, la
voyant entrer lui dit en se cachant dans le lit sous la couverture :
- Mets la galette et le petit pot
de beurre sur la huche, et viens te coucher avec moi. Le petit chaperon
rouge se déshabille, et va se mettre dans le lit, où elle fut bien étonnée de
voir comment sa mère-grand était faite en son déshabillé. Elle lui dit :
- Ma mère-grand, que
vous avez de grands bras ?
- C'est pour mieux t'embrasser,
ma fille.
- Ma mère-grand, que vous avez de
grandes jambes ?
- C'est pour mieux courir, mon
enfant.
- Ma mère-grand, que vous avez de
grandes oreilles?
- C'est pour mieux écouter, mon
enfant.
- Ma mère-grand, que vous avez de
grands yeux ?
- C'est pour mieux voir, mon
enfant.
- Ma mère-grand, que vous avez de
grandes dents ?
- C'est pour te manger.
Et en disant
ces mots, ce méchant loup se jeta sur le petit chaperon rouge, et la mangea.
Moralité :
On voit ici
que de jeunes enfants, surtout de jeunes filles belles, bien faites, et
gentilles, font très mal d'écouter toute sorte de gens, et que ce n'est pas
chose étrange, s'il en est tant que le loup mange. Je dis le loup, car tous les
loups ne sont pas de la même sorte ; il en est d'une humeur accorte, sans
bruit, sans fiel et sans courroux, qui privés, complaisants et doux, suivent
les jeunes demoiselles jusque dans les maisons, jusque dans les ruelles ; mais
hélas ! Qui ne sait que ces loups doucereux, de tous les loups sont les plus
dangereux.
Charles Perrault
(1628 – 1703)