livre Orsenna "la grammaire est une chanson douce

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Les mots variables

 

 un extrait du roman d’Erik Orsenna “

La grammaire est une chanson douce”.

 

 

 

Ce roman raconte l’histoire de Thomas et Jeanne,

deux enfants qui vont retrouver leur papa de l’autre

 côté de l’océan.

Pendant la traversée, le bateau fait naufrage,

et ils échouent sur une île magique.

 Le problème, c’est que pendant le naufrage,

ils ont perdu tous leurs mots!! Sur l’île, ils rencontrent

 Monsieur Henri et son neveu, qui vont leur réapprendre

 la grammaire et la beauté des mots. Dans le passage

que nous allons lire, Jeanne et Thomas observent

une “ville de mots”, et remarquent que ceux-ci

s’organisent de façon particulière.

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P 79 , 79, 80, 81  chapitre X

 

 

Vous êtes comme moi, j’imagine, avant mon arrivée dans l’île. Vous n’avez connu que des mots emprisonnés, des mots tristes, même s’ils faisaient semblant de rire.

Alors il faut que je vous dise : quand ils sont libres d’occuper leur temps comme ils le veulent, au lieu de nous servir, les mots mènent une vie joyeuse. Ils passent leurs journées à se déguiser, à se maquiller et à se marier.

Du haut de ma colline, je n’ai d’abord rien compris. Les mots étaient si nombreux. Je ne voyais qu’un grand désordre. J’étais perdue dans cette foule. J’ai mis du temps, je

n’ai appris que peu à peu à reconnaître les principales tribus qui composent le peuple des mots. Car les mots s’organisent en tribus, comme les humains. Et chaque tribu a son métier.

Le premier métier, c’est de désigner les choses. Vous avez déjà visité un jardin botanique? Devant toutes les plantes rares, on a piqué un petit carton, une étiquette.

Tel est le premier métier des mots : poser sur toutes les choses du monde une étiquette, pour s’y reconnaître. C’est le métier le plus difficile. Il y a tant de choses et des choses compliquées et des choses qui changent sans arrêt! Et pourtant, pour chacune il faut trouver une étiquette. Les mots chargés de ce métier terrible s’appellent les noms. La tribu des noms est la tribu principale, la plus nombreuse. Il y

a des noms hommes, ce sont les masculin, et des noms femmes, les féminins. Il y a des noms qui étiquettent les humains : ce sont les prénoms. Par exemple, les Jeanne ne sont pas des Thomas (heureusement). Il y a des noms qui étiquettent les choses que

l’on voit et ceux qui étiquettent les choses qui existent mais qui demeurent invisibles, les sentiments par exemple : la colère, l’amour, la tristesse...

 

Vous comprenez pourquoi dans la ville, au pied de notre colline, les noms pullulaient.

Les autres tribus de mots devaient lutter pour se faire une place.

Par exemple, la toute petite tribu des articles. Son rôle est simple est assez inutile, avouons-le.

 Les articles marchent devant les noms, en agitant une clochette : attention ! le nom qui me suit est un masculin, attention, c’est un féminin! Le tigre, la vache.

Les noms et les articles se promènent ensemble, du matin jusqu’au soir. Et du matin jusqu’au soir, leur occupation favorite est de trouver des habits ou des déguisements. À croire qu’ils se sentent tout nus, à marcher comme ça dans les rues. Peut être qu’ils ont froid, même sous le soleil. Alors ils passent leur temps dans les magasins.